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Anonymat

J’ai décidé de commencer ce journal en ligne suite à une récente dispute avec C.
Celle-ci me reprochait de plus en plus de profiter du système d’anonymat que notre bon vieux système français n’a pas totalement supprimé.
Je crois qu’elle ne saisit pas à quel point il est dangereux de s’exprimer librement aujourd’hui, bien que les récents évènements nous le prouvent encore et toujours.
Seulement, j’en ai ma claque de ne jamais m’exprimer sur bien des sujets. J’aimerais pouvoir être libre de tout déclamer sur la place publique sans en choquer certains, sans provoquer de polémiques. Il est probable que ce sujet-là soit lui-même polémique.

Bref, puisque je suis ici pour vous compter ma vie, mon quotidien, tout a commencé quand nous étions dans le bus, C. et moi. Il faut savoir que Mistinguette ne prend jamais le bus d’ordinaire. Généralement, elle se coltine à son vélo, mais manque de pot, sa roue venait d’éclater sur le chemin du lycée et elle a réussi à choper le bus in extremis à mon arrêt. Je la pensais suffisamment déterminée pour y aller à pied mais j’oubliais qu’elle désirait maintenir son niveau et qu’un retard n’est pas ce qu’on pourrait qualifier de détail insignifiant pour C. J’ai eu beau la taquiner, j’étais très loin d’être déçu.

Continuons. Je profitais d’un léger creux dans notre conversation pour faire un tour sur Instagram où je scrollais des pages et des pages de publications d’inconnus, de visages légèrement connus voire, parfois, de visages que je connaissais bien pour faire partie de ceux qui voyageaient à nos côtés dans ce bus, quand C. a décidé d’entamer un léger coup de gueule sur ma manière de me comporter et surtout, de celle des utilisateurs dont je likais certaines publications. J’ai plutôt l’habitude du discours de vieux con que me servent à chaque fois mes parents ou la génération de boomers (leurs propres parents) qui peinent à prendre une photo sans un jeune dans la rue prêt à les aider à débloquer le mode selfie qu’ils ont involontairement déclenché. L’entendre dans la bouche de C. m’a donné l’impression de redevenir ce petit garçon pris en flagrant délit sous sa couette, vers une heure du matin un soir de semaine, les yeux à la la limite de la conjonctivite avec ma vieille DS dans la main. De sa part, j’aurais dû m’en douter. Pour vous mettre dans le contexte, elle n’a ni téléphone, ni télé, ni quoique ce soit ayant été inventé ces trente dernières années chez elle. Je ne sais pas si ce sont ses parents qui lui imposent un régime pareil, mais si c’est le cas, je la plains. En ce moment, je n’arrive pas à tenir plus de trente minutes sans mon téléphone à la main. Même mes nuits de semaine y passent, si bien que je suis tout le temps crevé et sur les nerfs. Heureusement pour moi, les autres n’ont à me supporter qu’un jour sur deux maintenant.

Revenons à nos moutons. C. venait de critiquer ouvertement ces personnes passant leur vie sur les réseaux sociaux et affichant une fausse image d’eux même pour flatter leur ego. Cette fois, ce fut moi qui levais les yeux aux yeux. Sérieusement, qui n’a jamais entendu cela de la part de ceux qui déclarent ne pas vouloir faire partie de la masse ? Tellement cliché, tellement décevant de sa part, bien qu’une fois encore, je m’y attendais. Qui n’a jamais rêvé d’être différent, supérieur aux autres, au bas peuple qui écoute du rap, ne lit plus depuis la cinquième et porte des chaussures blanches dont tout le monde connaît la marque depuis leur grande mode dans les années 80 ?

J’ai alors rétorqué que ces personnes ne faisaient que se confier à un public dans le but d’avoir des retours, que quand bien on pouvait considérer leur entreprise comme profondément narcissique, nous n’avions pas à les juger comme elle le faisait alors. Nous faisions tous la même chose, nous ressentions tous ce besoin de reconnaissance au fond de nous. Ce besoin de se sentir aimé. Dans mon cas, il m’est venu à l’esprit que ce que je désirais le plus au monde, c’était d’être enfin écouté. J’éprouve le besoin d’être écouté pendant que je déblatère quelques notions d’informatiques devant un public qui visiblement s’en fout.

C’est alors que C. m’a tendu une perche. Mistinguette ne doutait même pas du fait que j’allais la saisir.

Un défi, sur plusieurs années. Ecrire un journal complet, en ligne, pendant quelques temps. Laisser les gens trouver qui je suis, comprendre enfin si oui ou non l’anonymat s’avérait être une solution à la liberté d’expression la plus complète. Allons bon, j’ai accepté. J’ai revêtu le masque d’une nouvelle identité, d’un nouveau pseudo, d’un nouvel avatar pour donner plus de fil à retordre à ceux qui se résoudraient en fin de compte à venir m’attaquer physiquement IRL.

Je suis fin prêt à déballer une partie de ma vie ici.